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Editions

Alain Marc, Du monde suivi de « …La Vie se dégrade… » ou de quelques considérations actuelles et inactuelles

Préface

« la seule attitude de résistance efficace est la fermeté d’esprit » Louis Calaferte, Droit de cité.

Ces notes ont d’abord fait partie d’un travail que l’on pourrait qualifier d’“expérimentation”, expérimentation de par l’inconnu d’un éven- tuel but. Je ne savais absolument pas au départ, si je continuerais à en écrire sur ce “sujet”, si j’en aurais la force (et l’envie), et si l’ensemble des notes accumulées serait un jour en nombre suffisant pour les ré- unir sous la forme d’un “recueil” – j’avais alors encore tellement de choses à écrire que la censure, médiatique, économique, sociale ou morale, m’avait empêché jusqu’à ce moment, d’écrire… Expérimen- tation également, donc, de par le très faible nombre de notes initiales. L’idée de départ qui fit un beau jour irruption fut donc de réunir les quelques notes que j’avais déjà en ma possession, et de noter, les in- compréhensions, énervements, coups de “gueule” et autres, supplé- mentaires, qui me venaient au jour le jour, afin de contrer – cela était enfoui au début dans mon subconscient – le lavage de cerveau qui nous est infligé crescendo depuis plus de quinze ans qui produit un manque de repères évident. Dix ans, quinze ans, vingt ans, depuis mes toutes premières années d’expériences du monde du travail, c’est long : très long. Tellement long que tout repère, finit par s’envoler, i-n-é-l-u-c- t-a-b-l-e-m-e-n-t… Parce que rentré petit à petit, incognito inaperçu, dans notre quotidien, et dans nos têtes, parce que le phénomène répond d’une progression, et non d’une arrivée du jour au lendemain de l’idée. L’idée du cri, malgré ce que l’on pourrait croire, vint sur cet ouvrage très progressivement. Le cri, pourtant instant des plus daté, puisque naissant dans la pulsion de la personne même. Seul moyen de rétablir les repères ? Refaire le coup de Droits de cité de Louis Calaferte, mais actualisé, à notre époque d’aujourd’hui. Mais les embûches ne tardèrent pas à se faire jour. Pourquoi dire, à quoi cela sert-il de dire, ce que tout le monde pense, et sait déjà ? À quoi cela peut-il servir qu’est-ce que cela peut apporter, d’écrire des paroles comme celles-là ? Pour le reformuler, le formuler enfin ? Mais comment savoir si telle chose a, ou n’a pas encore été dite ailleurs, par quelqu’un, d’autre ? Avec le risque de passer pour un pré- tentieux – « Je l’ai mieux dit… », ou un naïf – « Mais tout le monde le sait déjà ! » Pour l’inscrire, et quitter, passer de la pensée diffuse à l’ins- cription précise ? Il y fallait incontestablement apporter plus, et ou, autre chose… On sent, bien vite, que l’on atteint les limites, de la parole. Perec avait bien eu le souci de tout noter – dire ce que tout le monde pense mais que personne ne dit, l’ « infra-ordinaire », l’évident, l’ordinaire, l’ « endo- tique », qui provient du dedans. Mais la différence, et elle est énorme, est de s’appuyer sur le cri, l’irruption, la montée spontanée d’une émotion, d’un non, d’un début de colère et de révolte.
La deuxième embûche, fut celle de l’essoufflement. J’avais pendant un long moment arrêté le travail de prises de notes – je n’en avais plus la force, me renvoyant par trop au quotidien que je vivais au plus vif et plus cruel, de mon être, de mon être de vie. Je n’avais pas, plus, assez de recul. Comme je ne suis toujours pas arrivé à lire la Misère du monde, initiée par Pierre Bourdieu, ou plus près de nous Pas de pitié pour les gueux, petit essai sous-titré « Sur les théories économiques du chômage » de Laurent Cordonnier, particulièrement réaliste1 … Car les lire, lire de tels ouvrages : qui voudra, tiendrait, à lire ce qui le fait (le plus ?) souffrir tous les jours ? Il est vrai que la souffrance fut, pour moi, à un moment trop forte. Elle se mêlait de surcroît avec le doute du projet lui-même.
D’où la difficulté première de saisir ce réel. Pourtant désiré. D’où la lutte continuelle pour écrire ce qui ne l’a pas encore été, parce que cela, sur le coup, fait trop mal – le mal attaquant le mal, la douleur, de l’intérieur. La douleur, qui se mêle facilement à la fuite de la fainéantise, du laisser-aller, laissons passer. Autre cause de la lutte, perpétuelle, à mener. Un premier antidote trouvé étant de noter le plus précisément, avec le plus d’austérité possible, chacune des irruptions, de colère ou d’illumination soudaine, presque mécaniquement, un peu à la manière d’un métronome, d’une horloge bien huilée qui bat la mesure du temps qui passe. La deuxième difficulté d’une telle entreprise, quand on a décidé de la mener jusqu’au bout, est celle de l’exhaustivité. Mais tel n’a jamais été le but que je me fixais, le cri choisi venant contrebalancer toute envie totalitaire qui mè- nerait vite à l’ennui de l’écriture et donc, de sa lecture. Et de plus, de se fixer le but inflexible de tout noter, absolument tout, et c’est le risque, à son degré ultime et osons le mot, de la folie qui guette, qui risque un jour de s’installer durablement à l’intérieur de la tête du scripteur… Laisser aller, oui : laisser aller, loin d’une fuite, fut la principale porte de sortie. Ne noter, que et seulement que, ce qui ne pouvait vraiment, passer de la sorte, sans, aucune mémoire, sans, aucun mot. Le silence, environnant, étant un autre grand aspect, de la chose à combattre.

Aujourd’hui, à la relecture de certaines de ces notes, certaines dates, déjà, se mettent déjà à parler. « Ah, j’avais écrit cela, déjà à cette époque ! »
« Mais alors il y a déjà x années, que cela est comme ça ! » Et tout, est peut-être là…

A.M.

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